Port franc : l’art et le droit dans un entrepôt
Les confusions concernant les ports francs sont courantes. C’est que la matière fait appel à des règles fiscales particulières. Comme nous le disions dans notre dernier article sur le sujet[1], un port franc est une entreprise destinée à l’entreposage d’objets, souvent d’une grande valeur, selon un régime juridique avantageux propre à l’Etat dans lequel la société est installée. Dans ce cas, on parle aussi de zone franche, les termes étant équivalents.
Depuis septembre 2014, il existe une telle structure au Luxembourg alors que les ports francs les plus connus sont en Suisse, à Singapour, à Hong Kong… Le régime juridique que nous analysons ici est propre au port franc du Luxembourg, même si la philosophie générale reste identique quel que soit le lieu d’établissement de la structure.
Lorsque l’idée de la création d’un port franc a émergé au Luxembourg, il a d’abord fallu doter le pays d’un régime juridique adapté au fonctionnement de ce type de structure, tout en étant, bien entendu, conforme à la législation européenne. En 2011, une loi du 28 juillet 2011[2] a donc été publiée afin de compléter la loi luxembourgeoise concernant la taxe sur la valeur ajoutée. Ce texte, fondateur en quelque sorte, a ensuite été décrit comme « la loi sur le port franc ».
Stockage d’objets…
Les objets visés par la loi sont variés, celle-ci se bornant à viser de manière générale les matières premières et les biens meubles (dont par exemple les œuvres d’art ou les objets de collection) qui ne sont pas destinés au commerce de détail. Mais dans les faits, ce sont particulièrement les œuvres d’art appartenant à des collectionneurs ou des investisseurs, mais aussi bijoux, grands vins, pièces de monnaie, métaux précieux, et même des voitures de collection qui sont visés… Des objets vendus dans le cadre des duty freesont aussi éligibles.
Même si les locaux qui accueillent les objets sont ultra sécurisés, ils ne sont donc pas limités aux objets d’art. Nous devrions dire que, de manière plus générale, un port franc n’est pas un outil uniquement à la disposition du marché de l’art.
Régime fiscal
De manière générale, le stockage d’une œuvre dans une zone franche est pertinente à partir du moment où le propriétaire souhaite bénéficier du régime fiscal qui y est appliqué. Si nous pourrions concevoir qu’un particulier fortuné souhaite y préserve sa collection uniquement afin de bénéficier de l’espace sécurisé, il est plus réaliste de dire que les réels clients ciblés sont ceux qui sont amenés à être les titulaires ou détenteurs d’une œuvre alors que celle-ci est destinée à changer de mains à plus ou moins court terme. Un exemple caricatural serait une société d’investissement qui souhaite diversifier son portefeuille d’investissement en achetant des œuvres d’art. La crise économique et financière a suscité un réel besoin d’investir dans ce type de marché, dit « alternatif » tel que le marché de l’art. Dans une telle situation, le but n’est donc pas d’acheter une œuvre d’art pour l’accrocher dans son salon, mais bien de la garder dans un endroit sûr pendant le temps nécessaire avant de la revendre et de réaliser un bénéfice sur la plus-value. Si le jeu de la spéculation est alors poussé à son paroxysme, il n’en reste pas moins qu’il s’agit là de la réalité actuelle du marché mondial de l’art…
Ces éléments étant précisés, quel est l’intérêt fiscal d’un port franc ?
La subtilité du mécanisme peut être résumée par une suspension de la TVA, des droits de douanes et d’accises.
Si l’œuvre vient d’un pays hors de la Communauté Européenne, il sera considéré comme n’étant pas encore entré dans la communauté. Ce mécanisme permet d’éviter de préfinancer la TVA comme ce serait le cas si l’objet n’était pas intégré à la zone franche. Si l’œuvre vient d’un pays membre, il pourra également bénéficier du principe de la suspension des taxes jusqu’à sa sortie de l’espace.
En effet, tant que l’objet reste au sein de la zone franche, les taxes ne seront pas applicables. Ce sera aussi le cas si l’objet d’art est revendu sans sortir du port franc, ce qui constitue un avantage indéniable tant pour le vendeur que pour l’acheteur, et ce quelle que soit l’origine de l’œuvre.
La suspension de taxes n’est cependant pas éternelle puisqu’elle cessera lorsque le bien quittera le port franc pour atteindre sa destination finale. Il est donc plus précis de parler de postposer le paiement des taxes. En revanche, il ne pourrait être considéré que l’outil puisse éluder l’impôt puisqu’il sera bien dû en fin de processus.
Il faut aussi préciser qu’on ne « cache » pas ses objets dans le port. L’administration des Douanes et Accises du Luxembourg sont chargées de contrôler l’ensemble des objets à l’entrée comme à la sortie. L’idée n’est donc pas de faciliter le blanchiment d’argent ou le recel d’œuvre d’art sous une quelconque forme. D’ailleurs, une récente modification législative vient de soumettre les opérateurs des zones franches au dispositif législatif applicable contre le blanchiment.
Services accessoires
L’intérêt du port franc n’est pas uniquement le stockage moyennant un régime fiscal intéressant.
La sécurité propre à ces lieux est évidemment digne des coffres forts des plus grandes banques, mais il faut aussi mettre en évidence l’infrastructure entourant l’objectif premier de stockage.
Sachant que le lieu sera le théâtre de rencontres entre acheteurs, investisseurs et autres intervenants autour de l’œuvre, celle-ci peut être mise en évidence dans des zones d’accrochage.
Il est également possible de proposer tous les services habituels du marché de l’art : expertise scientifique, restauration, encadrement ou encore emballage adapté au caractère fragile de l’œuvre ou de l’antiquité.
Cerise sur le gâteau, ces services sont eux aussi exempts de taxes lorsqu’ils sont faits à l’intérieur du port franc.
On le constate, si les principes en la matière semblent faciles à résumer, ils impliquent une armada de mesures législatives pour permettre à cet outil d’exister. En réalité, la loi luxembourgeoise fait encore régulièrement l’objet de modifications en la matière pour permettre une optimisation de son fonctionnement tout en diminuant les risques de blanchiment. En ce sens, il s’agit là d’une belle illustration du mariage entre le droit (fiscal et financier) et le monde de l’art, peut-être au détriment du coup de cœur qui devrait guider tout achat d’une œuvre d’art…